Interview de Luis Godinho, Président du Syndicat national des audioprothésistes (UNSAF)
LSA : Que change la loi Macron pour les audioprothésistes ? Quelle est la part des pure players comme Audika, des opticiens et d’internet sur ce marché ?
Luis Godinho : D’abord, le gouvernement s’était engagé à ce que les articles consacrés à la santé ne soient pas discutés dans la loi Macron, mais dans la loi Touraine sur la santé, et cet engagement n’a malheureusement pas été tenu. L’amendement adopté du député Razzy Hammadi introduit de la confusion en ajoutant une obligation de devis dans un même texte pour les opticiens et les audioprothésistes, qui nous pose problème. L’audioprothésiste n’est pas un opticien, il est fait référence à des « vendeurs » qui n’existent pas dans l’audioprothèse, les problématiques sont totalement différentes. Nous avons déjà depuis longtemps une obligation de présenter un devis normalisé à nos patients, et, sans nous prononcer sur l’utilité d’un nouveau devis pour les opticiens, refusons la confusion résultant d’un texte commun à deux professions différentes. L’optique semble de plus en plus assimilée à un bien de consommation, ce qui n’est pas le cas de l’audioprothèse : il faut 10 à 15 heures pour parvenir à déterminer la perte d’audition et à la compenser, avec un dialogue permanent avec le patient. Impossible de vendre des audioprothèses sur internet, ça ne marche pas sans accompagnement humain. Ce n’est pas le même marché non plus : l’audioprothèse représente 900 millions d’euros de chiffre d’affaires, 6,5 fois moins que l’optique, pour 3000 audioprothésistes dont 25 % sous enseigne Audika et Amplifon, 30 % sous enseignes diverses comme Audio 2000, 30 % audioprothésistes indépendants sans enseigne, 10 % sous enseigne Audition Mutualiste et quelques pourcents pour Optical Center et Afflelou.
LSA : Les associations de consommateurs estiment qu’il n’y a pas assez de concurrence et que les audioprothèses, à 1500 euros par oreille, sont bien trop chères. Est-ce le cas ?
L.G. Si vous devez passer un scanner et que vous êtes remboursé 20 € alors que l’acte en coûte 200 €, c’est bien trop cher ! Ou trop mal remboursé ! L’audioprothèse, ce n’est pas simplement de l’achat et de la vente d’un produit. Dans les 1 500 €, remboursés 120 € par la sécurité sociale, le matériel ne représente que la moitié du coût, et le temps consacré par l’audioprothésiste à analyser la perte d’audition et à régler les appareils le reste. L’Igas et UFC-Que Choisir ont reconnu que l’intervention de l’audioprothésiste est essentielle. Qu’on demande aux malentendants, s’ils n’ont pas besoin de leur audioprothésiste ! Et si les prix paraissent élevés, les réseaux de la Mutualité Française, qui ont une vocation sociale, affichent des tarifs à peine inférieurs de 10 à 12 %. Enfin les prix moyens sont plus chers à l’étranger, de l’ordre de 1700 € en Belgique par exemple, selon l’étude la plus récente dont je dispose. L’audioprothèse est surtout trop mal remboursée par la sécurité sociale et par les complémentaires.
Besoin d’un meilleur remboursement “plancher”
LSA : Pourtant, les remboursements des audioprothèses par les mutuelles pourraient être encadrées, comme c’est le cas pour les lunettes ?
L.G. Je suis pour un encadrement du remboursement par les mutuelles des audioprothèses, s’il nous donnait un meilleur remboursement plancher ! Nul ne met des audioprothèses pour l’esthétique, comme c’est le cas parfois pour les lunettes. Les mutuelles, qui regardent la demande, choisissent de bien rembourser les lunettes au détriment des audioprothèses. C’est simple, la surdité a un chiffre d’affaires six fois plus petit que l’optique, mais le remboursement est 18 fois moins élevé ! L’Igas a d’ailleurs écrit que le montant des remboursements était totalement déconnecté de la réalité économique, avec 120 € remboursés par la sécurité sociale et 350 € environ par les complémentaires. Les Allemands remboursent plus, environ 800 euros. Ce n’est pas pour faire plaisir aux audioprothésistes allemands ! Le gouvernement devrait avoir une approche plus médico-économique. Car si le reste à charge est très important, les gens ne s’équipent pas, et enchaînent les problèmes de santé, les chutes, les dépressions, la dépendance. L’approche doit être globale.
LSA : Un arrêté pris par le ministère de la Santé a autorisé la mise en marché des audioprothèses Sonalto dans les pharmacies. Pourquoi faites-vous un procès à cette société ?
L.G. : Nous avons fait une erreur, les procès intentés n’ont fait qu’accroître la publicité autour des assistants d’écoute. Sur le fond, ces assistants seront inefficaces et le fait que le ministère ait rendu leur vente en pharmacie possible est une erreur. Encore une fois, les pouvoirs publics ont vu l’audition comme un produit, comme un marché, alors que c’est un problème de santé aux conséquences lourdes ! Les pharmaciens n’en vendent que très peu, ils n’ont pas envie que leurs clients reviennent insatisfaits. Mais comme ces produits ressemblent à ceux des audioprothésistes, ils ajoutent à la confusion. La décision prise par le ministère a évidemment été contestée par toutes les professions de santé. En revanche, nous menons une réflexion avec le ministère de la santé pour qu’une offre d’accessibilité en audioprothèse, inférieure au prix moyen du marché de 1500 € par oreille, soit disponible, car nous avons bien conscience que le reste à charge les rend inaccessibles à certaines populations. Il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique !
Propos recueillis par Sylvain Aubril par le site lsa-conso.fr (lien)